J’ai lu : Petites histoires ordinaires, de Jeanne Thibault aux éditions Edilivre
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Petites histoires ordinaires, le livre de Jeanne Thibault publié par Edilivre, est un ouvrage essentiel, un signal d’alarme. Un parmi tant d’autres et qui, comme tous les autres livres de cet acabit, a été ignoré par les grands éditeurs, les grands médias, et probablement peu mis en avant par les libraires.
Il a donc toute sa place chez L’ami des auteurs. Si vous voulez du rêve, et conserver de la France et de ses institutions une image idyllique digne de son glorieux passé, ne lisez pas le livre de Jeanne Thibault. Si en revanche vous êtes prêt(e)s à vous confronter au réel, précipitez-vous sur ce recueil d’anecdotes en milieu scolaire dont l’auteure nous précise qu’elles sont symptomatiques de la crise que traverse l’Education nationale et prouvent l’inadaptation du collège unique et de ses « réformettes » successives (p 409).
Après avoir été enseignante, Jeanne Thibault a été principale de collège. Elle sait donc de quoi elle parle lorsqu’elle évoque sur un ton désabusé cette carrière houleuse :
Le chef d’établissement, malgré son titre, n’est maître de rien : les directives viennent d’en haut, le ministère transmettant aux rectorats, les rectorats aux inspections académiques, les inspections aux établissements (p 6).
Ainsi, dès le prologue, le décor est planté. Et c’est dans ce décor, un décor que nous avons tous traversé un jour ou l’autre et qui évoque immanquablement la nostalgie de nos jeunes années, que se jouent des scènes théâtrales qui frisent parfois la Commedia dell Arte mais qui sont le plus souvent dignes de tragédies grecques.
Et au fil du livre, on assiste dans le bureau de la Principale à un défilé de la misère humaine. Le chef d’établissement y est toujours pris entre le marteau et l’enclume, la famille de l’élève et la hiérarchie.
Plus d’une vingtaine d’histoires hélas vraies, qui parfois prêtent à sourire, mais laissent toujours une impression de malaise. Du petit poucet Nicolas, délaissé par son père et confié aux bons soins d’une belle-mère digne de Folcoche, à Alice, enceinte à quinze ans. Le collège, c’est aussi un cortège de phobies, celle de Robin par exemple, le grand dadais blond aux yeux bleus victime d’une occlusion intestinale car il se refuse à user des toilettes du collège, jugées immondes par sa mère, outrée de tant de négligence. Madame la Principale aura beau tenter de lui expliquer que les lieux d’aisance sont nettoyés quotidiennement mais que les élèves ont le tort d’en faire leur terrain de jeu, rien n’y fera. Fausses accusations de viol, premiers trafics de cannabis, mensonges, agressions, et bien entendu l’échec scolaire, symptôme d’une jeunesse qui se sent, à tort ou à raison, perdue et abandonnée, tels sont les ingrédients de ces histoires comiques ou dramatiques, souvent navrantes.
Est-ce à l’institution scolaire de gérer tous ces problèmes ? Hélas, il semble que de fait, ce soit le cas. Que reste-t-il, dès lors, de la transmission du savoir ? Pas grand-chose et c’est bien là le véritable regret de Jeanne Thibault qui, libérée de son devoir de réserve, ne mâche pas ses mots :
Nos politiciens le savent mais ils ne tiennent pas à l’avouer ! D’une part parce qu’il est beaucoup plus simple d’envisager des formations citoyennes renforcées qui viendront ajouter de la théorie à la théorie, c’est-à-dire du vent au vent (p 13).
Un constat amer mais qui en dit long sur le délabrement de l’Education nationale et, au-delà, de la société française. Un livre que d’aucuns jugeront peut-être réactionnaire, ce qui n’est pas nécessairement un défaut. Comme l’a dit je crois Christian Vanneste, « être réactionnaire, c’est bien, cela veut dire qu’on réagit ».