Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (épisode 9)

lapinblancPar Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr

L’endroit est assez calme, et convient parfaitement à Christian, dont le teint doit régulièrement virer du pâle au verdâtre sans qu’il puisse le dissimuler. Bonjour. Un café s’il vous plaît. Où sont vos toilettes ? Merci.

Hormis le taulier et les deux piliers de bar qui lui tiennent la jambe, le café brasserie est quasiment désert. Seul un couple d’une cinquantaine d’années semble débattre de quelque affaire familiale sur une banquette en fond de salle. Les regards s’attardent parfois sur l’écran de télévision mural branché sur les bulletins d’information de BFM TV. Rien de palpitant dans l’actualité, que dominent les conflits larvés au sein du gouvernement socialiste ou le recul des barbus coupeurs de têtes de l’Etat Islamique face à la détermination et la vaillance des combattants kurdes.

Lorsque Christian revient dans la salle, son expresso fumant l’attend sur le comptoir. Il paie en petite monnaie et va s’asseoir à une table isolée, à bonne distance du bar et du couple en grande conversation. Il semble être question d’héritage, d’acte notarié et de gros sous. Et sur BFM TV, le présentateur annonce un reportage sur la surveillance accrue devant les synagogues.

C’est ce moment que choisit l’un des piliers de bistrot pour apporter son indispensable commentaire :

– Hé, sans déconner, ils ont rien de mieux à faire, les flics ? Hollande s’est encore aplati devant les juifs.

Le patron blêmit, jetant un regard inquiet en direction du couple. Christian, lui, doit être transparent, comme d’habitude :

– Oh, la ferme, Louis, tu vas pas commencer ?

– Quoi ? Commencer quoi ? A dire ce que tout le monde pense ? On le sait que c’est les juifs qui tiennent la France par les couilles. Et moi je soutiens Dieudonné à fond ! Et aussi l’autre là, le grand chauve tout nerveux… comment il s’appelle déjà… Sorel, Charal…

– Soral, Alain Soral, précise le second pilier.

– Ouais, Alain Soral. Mon neveu, il me montre ses vidéos sur Internet. Et ce gars-là, il balance !

Le visage du barman est désormais cramoisi. Le couple s’est interrompu et s’intéresse désormais à la conversation du trio agglutiné autour de la pompe à bière :

– Putain, Louis, arrête ! T’es dans un lieu public, ici.

Mais le pochtron renchérit de plus belle, vocifère sur les médias, les politiciens, Israël. Comme il se doit, ses propos confus trahissent tant son ignorance que son manque de discernement. Malgré les efforts désespérés du patron, Louis n’en finit plus de cracher son venin. Excédé, le couple quitte finalement l’établissement. Seul l’homme murmure un « au revoir » en adressant un sourire gêné au maître des lieux :

– Louis, t’es vraiment un gros con. Tu fais fuir mes clients. J’en ai déjà pas beaucoup…

En l’occurrence, le dernier vrai client, c’est Christian, et lui aussi se hâte de boire son café pour sortir de cette maison de fous.

L’ivrogne, tout penaud, comprend enfin qu’il est allé trop loin. Et le barman, désormais furieux, attend poliment que Christian soit sorti pour mettre à son acolyte l’avoinée du siècle.

Christian vient de découvrir la réalité de la France profonde. La France en guerre, la France perdue. F.R.A.N.C.E (Fédération de Régions où Augmentent Notablement le Chaos et l’Ennui). Christian comprend alors le véritable but de son voyage, ce voyage initiatique, cette traversée du désert, cette traversée de la France.

La France où l’on meurt sous les balles pour des caricatures.

La France où le dernier des culs-terreux connaît les vidéos d’Alain Soral.

La France de la violence, de la suspicion, de la déroute économique, de l’agonie du futur, du complotisme généralisé comme contre-culture, la France de François Hollande, la France où le Front National devient un choix acceptable. La France où plus rien n’est vrai puisque tout y est relatif.

La France qui a chassé le Christ.

C’est dans l’église de Château-Renault que Christian choisit de se réfugier, cette fois. Son épopée buissonnière n’a pas duré quarante-huit heures mais il sent que cette dernière a bouleversé sa vie comme rien ne l’avait fait jusqu’alors.

Vers qui faut-il se tourner pour trouver la vérité. Dieu ? Le Diable ? Alain Soral ? Le lapin blanc ?

Ce pays est malade. L’Occident est malade, le monde est malade. Christian, même s’il ne le sait pas encore, l’est sûrement lui aussi.

Il lui faut adopter une nouvelle stratégie. Christian choisit de délaisser les petites routes de campagnes, celles où on se traîne, celles où on se perd, celles où on se fait arrêter par Robocop, celles où on croise des alcooliques anonymes qui ont tout compris. A Tours, il prendra l’autoroute en direction de Poitiers, afin d’atteindre au plus vite sa destination.

Mais pour l’heure, il a faim. Il est 12h22. Cet instant de recueillement dans la maison de Dieu l’a apaisé. Il a retrouvé son teint des meilleurs jours, et sa détermination de chasseur de lapin blanc.

Il se restaure dans une charmante petite brasserie, rien à voir avec l’autre boui-boui, une brasserie où il ne croise aucun antisioniste patenté, aucun ivrogne, aucun gendarme. Seulement une jeune serveuse souriante au visage angélique et aux formes délicieuses. Il s’en délecte aussi sûrement que de son repas et reprend la route repu, ragaillardi, optimiste, presque heureux.

Dans ses pensées, plus de terrorisme, plus de complotisme, même le lapin blanc en serait presque effacé de sa mémoire, évincé par le sourire de la jeune et jolie serveuse.

Christian ne l’oubliera pas.

Il roule, roule, roule. Tours n’est bientôt plus qu’à sept kilomètres.

A suivre…

Lire les épisodes précédents.

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