Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (épisode 8)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Les messages que vous envoie l’invisible sont parfois de tels coups de massue qu’il vaut mieux profiter pleinement du KO total et surtout, ne pas chercher à se relever trop vite. Christian prend donc un malin plaisir à rester au tapis, la gifle monumentale qu’il vient de recevoir ayant eu le mérite de lui remettre les idées en place. Il n’est pas perdu. Bien au contraire, il est sur la bonne route. Il ne retournera pas vers Paris mais poursuivra son périple vers le sud.
Il serait vain et inutile pour lui de chercher à en savoir plus sur ce panneau publicitaire. Et le numéro de téléphone au bas de l’affiche en grande partie effacé suffit à le convaincre. Le jeune homme prend simplement quelques photos de l’objet et se remet en route, en souriant de ce nouveau clin d’œil du destin… ou plutôt de son ami le lapin blanc.
Deux cent mètres plus loin, un embranchement, pourvu de véritables panneaux de signalisation cette fois-ci, le réoriente vers la RN 10 et la ville de Tours.
Mais l’état de félicité dans lequel se trouve désormais Christian s’estompe puis disparaît totalement lorsque surgit un nouvel obstacle, un barrage de gendarmerie, à quelques kilomètres à peine de Château-Renault. Et il n’est visiblement pas question ici de prévention routière. La demi-douzaine de fonctionnaires en uniforme et gilet pare-balles est en effet trop lourdement armée pour un contrôle de routine ou un test d’alcoolémie. Les gendarmes qui ne sont pas dotés de fusils à pompe Browning serrent nerveusement des pistolets mitrailleurs HK et dévisagent consciencieusement les automobilistes et leurs véhicules.
Les voitures sont ralenties mais pas arrêtées, et Christian pense donc que le barrage ne le retardera pas outre mesure. Hélas, c’est sans compter sur l’intervention d’un grand escogriffe au regard sévère qui, lâchant la poignée de son pistolet-mitrailleur UMP 9, lui fait signe de se ranger sur le bas-côté.
Allons bon ! La plaque de son véhicule, immatriculé en région parisienne, aura certainement attiré l’attention de la maréchaussée. Bon gré mal gré, Christian obtempère, immobilise sa voiture et ouvre sa vitre, sous le regard aussi curieux qu’insistant des autres automobilistes, qui poursuivent sereinement leur chemin :
– Bonjour monsieur, gendarmerie nationale. Veuillez me présenter votre permis de conduire ainsi que les papiers du véhicule, s’il vous plaît.
Christian, comme il se doit, s’exécute sans broncher. Mais que signifie un tel déploiement de force ? Vigipirate n’assure pas la protection des champs cultivés et des herbes folles. A moins que, dans la paranoïa générée par les attentats de Paris, les autorités croient être sur la piste d’une cellule terroriste dormante, ce qui, au vu des événements récents, n’est pas improbable.
Lorsque Christian lève les yeux vers le gendarme occupé à examiner son permis de conduire, il remarque un petit morceau de papier blanc coincé entre sa carte grise et son attestation d’assurance, un morceau de papier sur lequel le fonctionnaire finit par tomber, inévitablement, et que Christian identifie comme la facture de sa chambre d’hôtel :
– Vous avez passé la nuit à Chartres ?
– Ou… Oui, balbutie Christian, désarçonné par la question.
En quoi cela peut-il bien intéresser Robocop ? En rien, a priori. Mais dans ce cas, pourquoi le gendarme s’éloigne-t-il pour faire part de sa découverte à l’un de ses collègues ? Le premier gendarme montre le petit bout de papier au second, puis tous deux regardent en direction de Christian. Décidément, cette affaire insensée commence à ne pas sentir très bon. Le deuxième gendarme est désormais en train de porter son téléphone portable à son oreille, tandis que le premier semble attendre une consigne, sans quitter des yeux la Modus et son conducteur.
Oui, Christian a dormi dans un hôtel à Chartres, et alors ? Alors… Alors, cela fait de lui un suspect potentiel dans le meurtre mentionné à la radio un peu plus tôt, un meurtre suffisamment grave pour justifier une enquête et des barrages policiers dans toute la région Centre, voire au-delà.
Ah ! Non ! On ne va quand même pas essayer de lui coller ça sur le dos. Et les vérifications des gendarmes qui s’éternisent. Encore un coup du lapin blanc, et cela commence à faire beaucoup.
Contre toute attente, le premier gendarme revient vers Christian et lui restitue ses documents, non sans lui poser une ultime question :
– Où allez-vous, monsieur ?
– Passer quelques jours de vacances dans le Sud-Ouest. Je n’ai pas de destination précise.
Le gendarme prend encore le temps de dévisager Christian et d’examiner sommairement l’intérieur de l’habitacle :
– Très bien, monsieur, je vous remercie. Vous pouvez circuler. Je vous souhaite une bonne route.
Totalement liquéfié, Christian ne se fait pas prier. Moins d’une minute plus tard, il est à Château-Renault. Il était temps. 11h11. Il a besoin d’aller aux toilettes et de boire un café.
C’est dans une brasserie somme toute banale qu’après tant d’émotions, il croit trouver son bonheur…
A suivre…
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