Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (épisode 5)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Malgré une fatigue certaine, Christian ne parvient pas à fermer l’œil. Hôtel pas cher, d’accord, mais trop c’est trop. Les cloisons en carton-pâte diffusent en stéréo les clameurs de la chambre voisine. Les rires hystériques des enfants qui refusent d’aller se coucher ne semblent pas déranger les adultes qui vocifèrent dans une langue étrangère. Christian est incapable de savoir s’ils se disputent ou s’il s’agit d’une banale conversation entre amis. Mais combien sont-ils là-dedans ? Ce qui est sûr, c’est que les beuglements ne semblent pas près de s’arrêter. Pour Christian, la seule chose à faire est de sortir prendre l’air.
22h22 : La ville n’est pas très animée, mais quelques bars du centre-ville sont encore ouverts. Christian s’apprête à entrer dans l’un d’entre eux lorsqu’une voix, juste derrière lui, le fait sursauter :
– S’il vous plaît, jeune homme !
Lorsque Christian se retourne, quelle n’est pas sa surprise de constater que l’inconnu qui vient de l’apostropher n’est autre que le petit homme à moustache qui l’intriguait tant l’après-midi même, à l’intérieur de la cathédrale.
– Excusez-moi de vous déranger. Je sais que c’est idiot, mais je ne suis pas de Chartres et je suis incapable de retrouver ma voiture. Quel crétin je fais !
Pas étonnant, se dit Christian, l’homme sent l’alcool à plein nez. Le problème n’est pas qu’il est idiot, mais qu’il est saoul comme une barrique.
– Je voudrais bien vous aider, mais moi non plus, je ne suis pas d’ici. Je ne vais pas vous être très utile.
« Et puis vous n’allez pas conduire dans cet état » se retient-il d’ajouter. Mais l’inconnu ne le lâche pas :
– Ah, je sais bien que vous ne pouvez pas faire grand-chose. Tant pis, je vais continuer de chercher. Elle est dans une rue tout près d’ici, j’en suis sûr. Ah, quel con je suis ! Quel con !
– Allons, vous avez quoi comme voiture ? Nous allons faire toutes les rues aux alentours et nous allons bien finir par la trouver.
– Merci, merci. Heureusement qu’il y a encore des gens bien à notre époque. J’ai demandé à d’autres gens qui ne se sont même pas arrêtés. Vous imaginez ça ? Comme les gens sont égoïstes aujourd’hui !
– Alors, elle ressemble à quoi, votre voiture ?
Et voilà Christian reconverti en aventurier de la Peugeot 205 perdue. Contrairement à son nouvel acolyte, il s’est doté d’un plan de la ville et suit donc scrupuleusement son parcours afin de ne pas se retrouver lui aussi égaré. Les rues aux noms évocateurs s’enchaînent : rue du Soleil d’or, rue Serpente, rue de Bethléem. Au fond, il est tout aussi agréable de déambuler sereinement dans Chartres by night que de se morfondre dans un bar où personne, de toute manière, ne viendrait lui adresser la parole, contrairement à son petit moustachu qui lui, pour le coup, parle beaucoup et même trop, pour ne rien dire la plupart du temps, ou pour râler. Ce qui est sûr, c’est que son nouveau guide fait montre d’un style très personnel :
– Non, c’est pas par-là. Je l’ai déjà faite cette rue. C’est plutôt de ce côté. Il y avait des boutiques à l’angle, et un bâtiment avec un drapeau.
Alors, il faudrait savoir. Il est perdu ou pas ? Finalement, au bout d’une vingtaine de minutes, Christian aperçoit un véhicule correspondant à la description au niveau de la place Jean Moulin, à quelques mètres de la préfecture :
– Regardez ! Il y a une 205 blanche ici, c’est votre voiture ?
– Oui ! C’est elle ! Ah merci ! Merci ! Et je ne connais même pas ton prénom !
– Christian.
– Mille fois merci Christian. Moi, c’est Edmond. Ah, que je suis heureux ! Merci, mon ami !
Et le petit moustachu de se mettre à caracoler comme un chien fou :
– Bon, il faut fêter ça. Je vais t’offrir un verre, et puis tiens, prends ça.
Et avant que Christian ait eu le temps de réagir, le voilà avec un billet de vingt euros dans la main :
– Non, non, je ne peux pas accepter.
– Mais si, mais si ! Tu les mérites, crois-moi, tu m’as aidé, toi au moins, pas comme tous ces petits bourgeois qui m’ont ignoré et se sont moqués de moi. Et si je le pouvais, je te donnerais plus.
C’est donc dans le café où Christian avait initialement prévu de faire escale qu’Edmond et lui se retrouvent quelques minutes plus tard. Au grand soulagement de Christian, son étrange camarade commande un Perrier :
– J’ai assez bu pour ce soir, il me semble.
Christian, qui s’est pour l’instant montré peu bavard, se dit que l’occasion est trop belle de tenter d’en savoir plus sur le curieux homme à moustache :
– Tu as dit que tu n’étais pas de Chartres. Tu viens d’où ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr.
– Oh tu sais, je bouge, je vis à droite à gauche. Officiellement, je réside en Dordogne, chez mon frère. Mais j’ai aussi un pied-à-terre dans le Sud-Ouest. Près de Lourdes.
– Le Sud-Ouest ?
Christian n’en revient pas. Ici à Chartres, il croise un gars qui vient du Sud-Ouest, et plus précisément des Hautes-Pyrénées, sa destination finale. Pour le jeune homme, c’est la coïncidence de trop :
– Et tu es venu à Chartres pour visiter la cathédrale ?
– Ah ! Mon ami, si tu connaissais la puissance de cet endroit… allons, il vaut mieux que je me taise, tu vas me prendre pour un fou.
– Mais non, pas du tout, ça m’intéresse. Tout ce qui touche à la spiritualité me passionne.
A ces mots, le regard d’Edmond change subitement. L’homme semble avoir recouvré tous ses esprits. Il considère longuement Christian d’un air grave :
– Si tel est le cas, alors une chose est sûre, mon garçon, tu ne m’as pas rencontré par hasard.
A suivre…
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