Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 18)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Christian reprend la route mais le cœur n’y est plus. Les visages de ses agresseurs se superposent à son regard, le privant de la beauté du paysage. Mais le plus obsédant, ce sont leurs voix, leurs paroles, et la sensation d’avoir toujours cette pointe de couteau sous la gorge. Les accusations portées contre Edmond étaient-elles fondées ? Une fois de plus, Christian est perdu. En écho, lui revient la mise en garde de Jean-Paul, le garagiste :
« Je ne sais pas où vous avez rencontré Edmond, et je ne sais pas ce qu’il vous a raconté. Mais si je peux me permettre un conseil, prenez vos distances le plus tôt possible. Vous ne le connaissez pas, il va vous attirer des ennuis. »
La prochaine fois, Christian prendra les avertissements gratuits pour ce qu’ils semblent être : une science exacte. En attendant, il lui faut surmonter le traumatisme de l’agression et se remettre de l’idée qu’il aurait pu finir ses jours là, sur cette aire d’autoroute, égorgé dans son camping-car. On aurait peut-être mis plusieurs jours avant de découvrir son cadavre.
Pour se changer les idées, Christian met la radio en marche, sautant d’une station FM à l’autre, à la recherche d’un programme plus divertissant qu’abrutissant. Et c’est en manipulant l’autoradio que lui revient en mémoire le bulletin d’information entendu à la radio le lendemain de sa nuit à Chartres, le lendemain de sa rencontre avec Edmond. Edmond qui, incidemment, avait eu ces mots :
« J’ai une affaire à régler ici demain, et après je descends en Dordogne. »
A la mémoire de ces propos tenus par Edmond, tout devient clair. La fameuse « affaire » n’était autre que l’assassinat d’un vague escroc, affilié à quelque secte ou société secrète. L’assassinat et le vol, puisque le coffre-fort de la victime avait été ouvert. Et voilà ce qui explique pourquoi les agresseurs de Christian n’étaient pas seulement à la recherche d’Edmond, mais également à la recherche d’un objet en sa possession, un objet dérobé à la victime et dont le moins qu’on puisse dire est qu’il attire les convoitises.
Parvenant à établir une trame cohérente des derniers événements, Christian reprend quelque peu confiance en lui. Mais désormais, que doit-il faire ? Appeler la police pour livrer le nom du meurtrier présumé ? Oui, mais si Edmond n’était pas le tueur ? Si le tueur était plutôt l’homme au couteau qui a menacé Christian le matin même et cherchant, avec son acolyte, à faire accuser Edmond ? Et puis, comment trahir un homme qui malgré son excentricité et son pouvoir de nuisance, a apporté au jeune homme une aide précieuse ? Un homme qui, pour une fois, semblait le comprendre, semblait prendre très au sérieux sa quête insensée.
Sa quête du lapin blanc. En voilà un qui doit bien se marrer, une fois de plus. Christian réalise alors à quel point il s’est laissé distancer. Perdu au fond du terrier, il cherche désespérément la lumière. On n’affronte pas impunément le lapin blanc sur son terrain.
Maudit soit-il. Maudits soient-ils tous. Le lapin blanc, Edmond, les agresseurs. Tous autant qu’ils sont.
Christian doit se recentrer sur sa conduite. Le trafic est dense sur le réseau autoroutier et le périphérique toulousain. Il est un peu plus de midi mais sans appétit, Christian ne s’arrête pas pour déjeuner. Il ne fait halte qu’un peu plus tard, profitant d’une longue pause pour déambuler dans les vieilles rues médiévales de la cité de Carcassonne.
Tombée en 724 aux mains du nouvel Emir d’Espagne, Ambissa ben Sohim, Carcassonne aurait pu devenir l’une des principales places fortes de l’occupant musulman, qui avait su faire de Narbonne une confortable tête de pont. Mais les chrétiens ne l’entendirent pas de cette oreille et opposèrent une résistance acharnée. Ambissa fut tué et son lieutenant Hodeyra prit le commandement de son armée pour mener de nouvelles campagnes de pillage et de dévastation dans toute la région. Ce n’est qu’en 759, soit bien après la victoire de Charles Martel à Poitiers, que les armées musulmanes furent définitivement chassées du Languedoc.
Définitivement ? D’inquiétants bruits de cimeterres au Moyen-Orient et des attentats en France laissent désormais présager du pire, songe Christian. Bien sûr, ses amis complotistes le remettraient volontiers dans le droit chemin :
« Ces islamistes sont le joujou des Américains ! »
Problème : en l’an 724, les Américains n’existaient pas. Et que penser de ce fait divers datant de 2010 ? Le 3 novembre une soixantaine de catholiques assistant à la messe des défunts à l’église Saint Jacques de Carcassonne furent caillassés par deux jeunes musulmans. Des agents de la CIA sous couverture, sans doute…
Christian quitte la citadelle et roule plein sud, en direction de Limoux.
Environ une heure plus tard, à 16h22, le jeune homme arrive à Rennes-le-Château.
A suivre…
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