Ecrire un livre, un coup de gueule d’Anne MG Lauwaert
Par Anne MG Lauwaert, auteure de plusieurs récits en italien : I giorni della vita lenta, (CDA Turin, 1994), La via del drago (CDA Vivalda Turin, 1995), Allarme in Valle Onsernone (Chez l’auteur, 1995) et en français, dont Les Oiseaux noirs de Calcutta (Tatamis, 2012), Le Grimpeur maudit (Tatamis, 2012) et Des raisins trop verts (Mon petit éditeur, 2014). Egalement illustratrice, elle a créé les personnages Lillo & Sofie. Anne MG Lauwaert publie de nombreux articles d’actualité sur des sites tels que Les observateurs.
“Ecrire un livre”… Je parle d’un livre “sérieux”, non pas d’un coup d’gueule éructé dans la colère de deux jours de café noir et trois nuits blanches…
Je ne parle pas non plus des livres composés par des bureaux d’écriture, ni des collections à l’eau de roses qui contiennent beaucoup d’eau et peu de roses…
Non, je parle d’un livre qui a muri lentement comme un vrai fromage qui a été brassé, cuit, lavé, retourné, brossé, frotté aux herbes…
Un vrai livre.
Mon livre “Le grimpeur maudit” j’ai mis exactement 35 ans à l’écrire…
“Les oiseaux noirs de Calcutta” m’ont pris 19 ans et “Des raisins trop verts” 23 ans…
Bien sûr on n’y pense pas tout le temps, mais c’est tout le temps là… Obnubilant… Alors à la fin on se dit “Il faut que ça sorte, je dois m’y mettre”… Et c’est vrai, il faut que ça sorte, c’est une question de vie ou de mort, si on ne réussit pas à le faire sortir par l’écriture, ça sortira quand même sous forme psychosomatique… un ulcère à l’estomac, un cancer, un accident… mais ça doit sortir car c’est une force qui bouillonne et qui tôt ou tard va faire exploser la marmite…
Alors je me dis que je m’assieds devant mon ordinateur et je me lance, mais avant je dois encore vite faire ceci ou cela… passer l’aspirateur… chose que je ne fais jamais… laver les vitres… chose que je fais encore moins souvent… ou passer la tondeuse dans le jardin…
Quand vraiment je n’en peux plus de repousser et de trouver des excuses pour postposer, il faut y aller et finalement j’y vais… Alors c’est tête baissée, non stop et ça sort comme un abcès qu’on vient de crever… ça gicle… ça coule et bien souvent ça pue… car tout remonte à la surface, un souvenir en attire un autre et c’est la descente aux enfers psychanalytiques de ce qu’on a fait et pas fait, des erreurs et des regrets… des si et des mais, des ah si j’avais su… et si c’était à recommencer…
Il me faut un an ou deux pour rédiger et ensuite je demande aux amis de relire pour qu’ils m’indiquent tout ce que moi je sais ce que je veux dire mais que les autres ne comprennent pas ce que je veux dire… Et on reprend, on réécrit, on remanie… on gomme, on élague… Le Grimpeur Maudit je l’ai écrit en français, réécrit en italien, (voir La Via del Drago) plusieurs fois, pour à la fin le réécrire encore une dernière fois en français…
Ecrire dure deux, trois ans pendant lesquels la vie est suspendue… toute la famille vit au rythme du “silence on écrit”…
Quand finalement ça y est, c’est fait, c’est fini… alors commence le calvaire : il faut trouver un éditeur… et ça, mes enfants, ça ne se trouve pas si vous êtes quelqu’un de normal… Parce que quelqu’un de normal il ne sert à personne… Par contre un réfugié climatique ou repris de justice ou homosexuel (pour le moment l’homosexualité ça marche fort) ou étranger de couleur (moi aussi je suis étrangère immigrée, mais pas du bon genre) ça, c’est du bon matériel pour les lobbies qui font des campagne. Blanche, blonde devenue grise, aux yeux bleus devenus gris eux aussi, c’est même contreproductif et perdu d’avance… Si vous ne faites pas partie des « synergies » = les copains des copains ou les cousins des cousins… c’est foutu…
Finalement il n’y a personne qui veut vous publier car vous n’allez pas pouvoir être utilisée pour faire la promo d’une idéologie ou d’un parti, vous ne vendez pas et ne faites pas vendre…
Alors on paye un petit éditeur qui semble monts et merveilles qui n’arriveront jamais. Vous finissez par vous brouiller et ça se termine par un “vos livres ne m’intéressent plus, débrouillez-vous… ”
On ne sait pas ce qui suit… tout au pilon? Ah, les avocats? Tout le monde sait bien que vous n’avez pas les moyens de vous les payer… vous êtes perdant dans tous les cas…
Finalement, quand vous avez offert votre livre à vos amis, que tout le monde vous a remercié en publiant des commentaires élogieux, arrive le résultat de décennies de travail et de coûts, ben oui ça coûte et pas seulement l’édition, il y a aussi les déplacements, les photos, les photocopies, les correcteurs, l’ordinateur qui crashe, le scanner indispensable… Ca chiffre très vite. Résultat de tout ça: quand le livre est sorti depuis 1 an on se rend compte qu’il a été vendu à 30 exemplaires dont la moitié a été achetée par une amie qui a voulu l’offrir à ses copines comme cadeau de Noël… Et là on se dit qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond…
Ce que je ne comprends pas c’est que l’éditeur lui aussi devrait avoir intérêt à vendre les livres qu’il édite… L’écrivain a besoin de l’éditeur mais l’éditeur a aussi besoin de l’écrivain… Ben non, il s’en fout, ce que vous lui avez payé lui suffit…
Notez que je ne suis pas la seule dans ce cas… J’ai même un ami qui a publié plusieurs livres et il s’est tellement fâché qu’il a juré qu’il n’écrirait plus jamais…
Alors que faire?
Eh bien, arrêtons d’entretenir le système malgré lui, ne passons plus ni par les éditeurs, ni par les librairies, écrivons et, via internet, mettons nos écrits à disposition de tout le monde, même gratuitement ça nous coûtera moins cher !
Fichier PDF et “buona notte suonatori”…
Avec les blogs c’est pareil. aussi longtemps que vous êtes utile on publie vos textes et puis tout d’un coup plus rien… vous êtes tombé dans l’oubli…
Alors ne passons plus par les blogs des autres, allons directement sur Internet sans intermédiaire…
Ca y est, j’ai décidé, j’ouvre une page facebook… je ne sais pas encore comment ça marche, je vais aller voir avant qu’on ne ferme aussi facebook…
Ohé tout le monde, voulez-vous mes livres en fichier PDF?
On distribue, on solde, on brade, liquidation totale…
Ah, mais c’est pas là la question… la question c’est que plus personne ne lit…
Anne Lauwaert