Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 14)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
C’est dans un petit garage de Montpon-Ménestérol que Christian découvre enfin l’engin : un camping-car Pilote de type Capucine de 1985, une sorte de chambre de bonne montée sur un châssis de camionnette J5. Edmond, virevoltant en tous sens autour du véhicule, lui vante tous les mérites de cette coque de noix, qui fut un jour son seul et unique domicile :
« J’ai vécu là-dedans pendant plus d’un an. Par contre, il a très peu roulé. Quand je trouvais un job quelque part, je le posais et il ne bougeait quasiment plus jusqu’à la fin du contrat ou jusqu’aux vacances. J’allais faire mes courses à vélo, je n’avais pas d’autre véhicule. »
Peu importe que cela soit vrai ou non, se dit Christian. L’essentiel est qu’il soit en bon état de marche :
« Il est passé au contrôle technique il y a trois mois, poursuit Edmond. Crois-moi, c’est exactement ce qu’il te faut. »
Christian sourit intérieurement de voir le petit démon à moustache s’enthousiasmer pour autre chose que des mystères ésotériques. Quel bon vendeur il ferait. Pour Christian, quoi qu’il en soit, la cause est entendue :
– Je suis intéressé, y a pas de problème. Il ne me reste plus qu’à l’essayer.
– Alors en voiture !
Et voici notre chasseur de lapin blanc, cinq minutes plus tard, sillonnant les routes départementales du Périgord blanc. Edmond, à ses côtés, recueille ses premières impressions :
– Alors ?
– C’est un coup à prendre, je n’ai jamais conduit de véhicule aussi gros.
– On s’habitue vite. En tout cas, c’est sûr que ça doit te changer de ta Modus !
En guise de réponse, Christian se contente de sourire. Concentré sur sa conduite, il songe au tournant que cet instant représente dans son périple. Il songe également que très bientôt, il sera à nouveau seul, poursuivant son voyage avec sa maison sur le dos. Cette idée le réjouit mais l’inquiète également. Une fois arrivé à destination, que fera-t-il ?
En attendant, la satisfaction de savoir qu’il pourra dormir tous les soirs à l’abri sans avoir à débourser un centime lui suffit. Le reste viendra en temps et en heure.
L’affaire est conclue en fin de soirée, après que Christian et Edmond aient partagé le repas du frère de ce dernier, accompagné de son épouse Gloria.
Jean-Paul Faucheux est plutôt du genre timoré. Derrière son air bourru et ses sourcils perpétuellement froncés, Christian devine surtout quelqu’un de timide et de travailleur, un gars du terroir, qui ne quitterait sa petite entreprise pour rien au monde. Tout le contraire de son excentrique frère cadet. Jean-Paul le sédentaire qui se tait, Edmond le nomade qui parle sans cesse. Pour être plus précis, Jean-Paul ne parle que lorsque c’est nécessaire, lorsqu’il dispose d’une information utile. Ainsi, durant le dîner, c’est bel et bien Edmond qui mène la conversation, mais Jean-Paul n’hésite pas à mettre son grain de sel dans les négociations. Facétieux comme à son habitude, Edmond n’hésite pas, lui, à mettre son frère aîné en boîte :
– JP, il connaît les cotes de l’Argus par cœur. Il est pas près de se faire rouler dans la farine !
– Moque-toi ! En attendant, c’est quand même grâce à moi que ton camping-car est comme neuf.
– Mais je le sais bien, mon Jipounet ! Et je sais aussi que tu ne peux plus le voir en peinture.
– Sûr, ça va me faire de la place !
Gloria n’est pas en reste. Souriante, elle aime bien l’insouciance d’Edmond. Elle sait qu’il n’est toujours que de passage, il n’y a donc pas de quoi s’offusquer. La conversation se poursuit ainsi sur un ton potache jusqu’à l’heure du dessert. Finalement, tout le monde tombe d’accord. Le camping-car sera échangé contre la Modus, les deux ventes étant effectuées dans les règles de l’art.
Malgré les réticences de Jean-Paul, on va même jusqu’à ouvrir une bouteille de champagne. Après deux coupes, Edmond enchaîne blague sur blague et rit aux éclats, puis aux larmes :
« Ouf ! J’en peux plus. » lance-t-il en se levant et en titubant en direction des toilettes. Même Jean-Paul semble parfaitement détendu. Ses sourcils remontés laissent entrevoir un regard bleu et profond. Christian ne comprend pas pourquoi Edmond juge son frère si sévèrement :
– Bon, j’ai un truc à terminer au garage. On se voit demain au petit déjeuner ?
– Je ne sais pas trop. Je ne voudrais pas abuser…
– Mais non, mais non, ça nous fait plaisir. Et puis vous avez l’air d’être quelqu’un de bien, en comparaison des énergumènes que mon frère nous a ramenés par le passé.
– Je suppose que c’est un compliment. Alors merci.
– De rien, jeune homme. Je sens que vous êtes quelqu’un de bien.
Jean-Paul se tourne vers le couloir menant aux toilettes, puis baissant la voix, s’adresse de nouveau à Christian :
« Je ne sais pas où vous avez rencontré Edmond, et je ne sais pas ce qu’il vous a raconté. Mais si je peux me permettre un conseil, prenez vos distances le plus tôt possible. Vous ne le connaissez pas, il va vous attirer des ennuis. Faites-moi confiance. Demain, dès la première heure, prenez votre camping-car et roulez ! »
Avant que Christian ne sache quoi répondre, Jean-Paul a disparu. Au fond du couloir, un bruit de chasse d’eau se fait entendre, puis celui d’un filet d’eau dans la salle de bain. Le bruit suivant est celui d’un joyeux luron pompette sifflotant sa joie de vivre.
A suivre…
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