Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 11)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Au téléphone, Edmond semble surexcité :
– Christian ! J’attendais ton appel ! Où es-tu ?
– A Angoulême.
– Parfait. Ecoute, j’ai pris un peu de retard. J’ai dû faire un crochet par Angers. Je t’expliquerai, mais j’ai beaucoup réfléchi à notre conversation d’hier soir et j’ai beaucoup de choses à te dire, des choses de la plus haute importance. Je ne peux pas entrer dans les détails mais pour résumer, disons que j’ai été placé sur ta route pour que tu puisses poursuivre ta quête. Et c’est pourquoi tu repartiras avec mon camping-car, même si j’y perds un peu d’argent. Je ne peux pas t’en dire plus pour l’instant, mais nous aurons le temps de bavarder dès mon arrivée. Là, je suis à Loudun, pas très loin de Poitiers. Je partirai tôt demain matin pour être à Périgueux vers midi.
Christian n’émet aucune objection. Outre le fait qu’il a hâte d’examiner ce fameux camping-car, il est de plus en plus intrigué par la personnalité et les propos d’Edmond. Il sourit intérieurement du fait que son nouvel ami ait fait escale à Loudun, une bourgade célèbre pour son épisode de possessions démoniaques au XVIIème siècle, alors que son prénom est presque l’anagramme du mot démon.
Cette pensée fugace disparaît dès lors qu’Edmond lui propose une heure et un lieu de rendez-vous le lendemain, à l’heure du déjeuner. Pour Christian, c’est parfait. Périgueux n’est plus qu’à une heure et demi de route. Il aura tout le loisir demain matin de se renseigner sur le lieu du rendez-vous et surtout, il pourra s’offrir le luxe d’une petite grasse matinée.
A condition, bien entendu, de ne pas tomber dans la même journée sur un panneau indicateur sans queue ni tête, sinon celles d’un lapin blanc, sur un barrage de police ou de gendarmerie, et sur un poivrot antisémite. Christian, sans trop savoir pourquoi, meurt d’envie d’évoquer ces épisodes, persuadé qu’ils ne sont pas anodins et qu’Edmond est précisément la personne apte à le comprendre. Pourtant, il se ravise. Il aura bientôt tout le temps nécessaire pour narrer à l’étrange Edmond les péripéties de son voyage :
– Très bien, Edmond, j’ai tout noté.
– Parfait. Tout va bien de ton côté ?
– Pas trop mal, j’ai trouvé un hôtel plus calme que celui de Chartres. Un peu plus cher aussi, mais ça reste raisonnable.
– Crois-en mon expérience de routard, il vaut mieux ça que dormir dans sa voiture. Je ne le souhaite à personne. Enfin bref. Allez, je te laisse, et je te dis à demain.
– Oui, à demain, Edmond.
– Ah, attends ! Une dernière chose. Tu as bien croisé un lapin blanc, aujourd’hui, n’est-ce-pas ?
– Oui, mais co… comment tu le sais ?
– Je sais beaucoup de choses, mon jeune ami, et crois-moi, tu ne vas pas être déçu du voyage. Je t’en dirai plus demain. Tout ce que je peux te dire ce soir, c’est que moi aussi, j’ai croisé un lapin blanc aujourd’hui, et il m’a révélé de grandes choses.
Christian reste sans voix. Comme à son habitude, son interlocuteur éclate d’un rire tonitruant, presque inquiétant.
– A demain, mon grand ! Passe une bonne nuit, et fais de beaux rêves !
Et Edmond, toujours hilare, raccroche sans avoir laissé le temps à Christian de dire quoi que ce soit. Il semble dans les habitudes du personnage de jeter ses énigmes à la face des gens avant de les noyer d’un rire démentiel, torrentiel.
Allons, se dit Christian, encore une journée à subir les élucubrations de ce vieux fou. Espérons que l’affaire du camping-car n’est pas une arnaque. Une fois la transaction accomplie, il n’entendra sûrement plus jamais parler de ce pittoresque et truculent individu.
A suivre…
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