Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 21)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Le soleil glisse doucement vers l’horizon vallonné du Razès, alors que le soir se pare de reflets rougeoyants. Les derniers touristes de la journée ont déserté Rennes-le-Château, laissant Christian et Edmond à leur contemplation.
Christian a retrouvé un semblant de sérénité. Mais désormais, c’est la fatigue, la lassitude qui se font sentir et le jeune homme n’aspire plus qu’à retrouver la quiétude de son véhicule :
– Tu te rends compte, Edmond, je ne sais pas si je pourrai encore me sentir chez moi dans ce camping-car. Je ne sais même pas si je pourrai fermer l’œil cette nuit. Dans la même journée, deux types m’agressent, et monsieur Courant d’air m’avoue qu’il les a assassinés, comme il a assassiné Dieu sait combien d’autres gens. Qu’est-ce que je suis censé faire avec ça ?
Edmond ne répond pas immédiatement. Et même si les vérités que Christian lui a assénées l’ont profondément blessé, il ne cherche pas à se défendre car il sait que le jeune homme a raison :
– Tout ce que tu as dit est vrai, Christian. Je ne suis qu’un vieux fou alcoolique. J’ai fait plusieurs séjours dans des hôpitaux psychiatriques et je ne m’en cache pas. Je suis schizophrène, c’est un fait. Comme tu l’as dit, je suis seul, perdu, et ma vie est sans espoir. Lorsque j’aurai disparu, on m’oubliera vite. Mais cela n’enlève rien à ce que je sais. Nul ne connaît l’au-delà mieux que moi, nul n’a tutoyé les anges et les démons comme je l’ai fait. La voyance et la médiumnité ne sont que quelques-uns de mes pouvoirs et je préfère rester discret sur ces sujets-là car mes facultés te glaceraient le sang. Tu es libre de me croire ou pas, tu es libre de me prendre pour un fou seulement, ou pour la folie elle-même. J’ai essayé toutes les drogues, tous les rituels de magie blanche et de magie noire. Si je le veux, dès ce soir, je peux commander aux anges de t’ouvrir toutes les portes ou au contraire, ordonner aux démons de mettre sur ta route tant d’obstacles que tu n’achèverais jamais ton voyage. Je ne dis pas ça pour te faire peur, mais simplement parce que c’est la vérité. Tout ce que je veux te dire, c’est que tu es un être exceptionnel. Le fait même que tu aies tout abandonné pour te lancer dans une quête impossible le prouve. Le lapin blanc t’a choisi, et toi seul peut découvrir pourquoi. Demain, tu arriveras au terme de ton voyage, mais ce n’est qu’à cet instant-là que commencera ton véritable chemin. Tu ne me verras plus, je vais m’effacer pour de bon. Je n’ai plus rien à t’apprendre, la vie fera le reste. J’ai semé suffisamment de questions dans ton jeune esprit pour que tu n’aies pas le temps de t’ennuyer. Je vais pouvoir me reposer mais toi, désormais, tu as du pain sur la planche. Voilà Christian, j’ai terminé. Je m’en vais. Je te souhaite de faire bonne route et de retrouver un jour la piste du lapin blanc. Mais fais-moi confiance, il n’a pas fini de te faire courir, celui-là.
Edmond achève son monologue sur son irritant petit rire démoniaque et se dirige vers sa voiture, qu’il a garée à quelques mètres du camping-car. Cependant, à la stupéfaction de Christian, il ne s’agit pas de la vieille 205 Peugeot défraîchie, mais d’un rutilant coupé Mercedes :
– Il faut croire que tu n’es pas si à plaindre que ça, monsieur Double face. Eh bien, peu importe ton petit manège, tu ne t’en sortiras pas comme ça. Les deux types de ce matin cherchaient quelque chose, et ils semblaient persuadés que c’est moi qui l’avais. Qu’est-ce que c’était ?
– Tu le découvriras demain matin. Et surtout, garde précieusement tout ce que tu as reçu et recevras, que ce soit un objet ou une parole. Rien de ce que je dis ou donne n’est inoffensif ou innocent. A toi d’en faire bon usage. Salut l’ami !
Après avoir mis le contact, Edmond adresse un signe de la main au jeune chasseur de lapin blanc planté au milieu du parking, et lance son bolide dans les lacets de la colline de Rennes-le-Château.
Plus désorienté que jamais, Christian demeure immobile à côté de son camping-car. Que doit-il comprendre à cette nouvelle énigme ? Il est décidément trop affamé et fourbu pour répondre à cette question. Maudit soit cet Edmond, ce démon. Qu’il disparaisse et bon vent !
Christian verrouille derrière lui la porte du camping-car. Plus jamais il ne sous-estimera le danger du monde extérieur, qu’il soit visible ou invisible. Et quoi qu’il en soit, il doit être en pleine forme demain pour l’ultime étape de son voyage.
A suivre…
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