Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 16)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Christian aurait pu prendre la direction de Bordeaux et arriver à Tarbes en fin de journée. Mais il préfère se diriger vers Brive-la-Gaillarde et prendre l’autoroute qui le mènera à Toulouse. Car Christian s’est fait une promesse, celle de faire escale à Rennes-le-Château. Il n’en a parlé à personne et en a fait son secret. Il ne pouvait pas envisager de descendre dans le Sud-Ouest sans partir à la découverte de ce mythique petit village de l’Aude.
Il a lu bien des choses sur le singulier destin de l’abbé Saunière, curé de Rennes-le-Château au tournant du XIXème et du XXème siècle. Le « curé aux milliards » et son supposé trésor ont créé une légende. Ou plutôt, ils ont ouvert une boîte de Pandore, celle de l’imagination qui ne s’arrête jamais, celle des hypothèses les plus folles et des complots les plus déments.
Quel passionné de mystères n’a jamais entendu parler de Rennes-le-Château ? Mais en avoir entendu parler est une chose, y être allé en est une autre, et c’est cette lacune que Christian veut combler. Il aurait pu en parler à ses amis Thierry et Daniel, mais il n’en a rien fait car sa voie, sa VOIX, n’est que pour lui. Il est seul à entendre, il est seul à sentir, il est seul à savoir.
Jusqu’à Cahors, il évite de laisser son esprit vagabonder à outrance. Vigilant, il se concentre sur la conduite de son nouvel engin, domptant la bête au fil des kilomètres, craignant le vice caché, la panne irréversible. Mais non, malgré son grand âge, le véhicule se comporte de manière tout à fait rassurante. Pas un bruit de moteur suspect, pas de craquement inopportun dans l’habitacle. Soulagé de savoir qu’Edmond et son frère ne l’ont pas escroqué, Christian file de plus belle sur l’autoroute, l’esprit libre.
Quel bilan tirer de ces trois premiers jours d’escapade ? Christian ne parvient pas à croire que seuls trois jours se sont écoulés, tant il a fait de chemin, à tous les sens du terme. En trois jours, il a croisé un vieil alcoolique fou d’ésotérisme et à moitié médium, il est passé de la conduite d’une Modus à celle d’un camping-car, il s’est fait arrêter par des gendarmes soupçonneux, et il a même croisé un lapin blanc au milieu de nulle part. Il a l’impression de rouler depuis toujours, l’impression d’être ce qu’il a toujours été et sera, l’impression de n’être à sa place que dans le mouvement, le cheminement.
Il savait qu’il devait partir et savait où il voulait aller. Il sait aujourd’hui que son voyage est bientôt terminé et il n’a plus peur. Il n’a plus peur pour lui. Mais il a peur pour l’humanité, il a peur pour la civilisation, il a peur de la confusion qui règne et de la violence qui avance.
N’ayez pas peur ! a dit le Christ. Et à l’évidence, Christian se dit que cette parole est pour lui, celle-là et toutes les autres :
Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?
Christian s’arrête sur une aire d’autoroute à quelques dizaines de kilomètres de Montauban. Il a fait plus de deux heures de route et il lui semble évident qu’une pause-café sera la bienvenue.
Le jeune homme profite de cette halte pour consulter ses e-mails et ses comptes Twitter et Facebook. C’est sur ce dernier qu’un message privé de Thierry attire son attention :
Quoi de neuf l’aventurier ?
Christian poste une réponse laconique avant de consulter son site web. Visiblement, quand le chat n’est pas là, les souris dansent. En effet, il semble que Kader, le dernier arrivé dans la bande, a rapidement trouvé ses marques. En l’absence de Christian, il a déjà publié deux articles farouchement anti-américains et antisionistes. Il ne s’agit plus d’un site conspirationniste, mais d’un site de propagande. D’ailleurs, Christian en obtient confirmation en consultant les archives du site. Ses propres articles sur la collusion entre nazisme et nationalisme palestinien ont été purement et simplement supprimés. Sans son approbation.
Christian revient sur sa page Facebook et complète son message à destination de Thierry :
Je vois que Kader se débrouille très bien. J’arrête ma participation au site.
Cette fois-ci, à n’en plus douter, il est libre.
C’est donc entre soulagement et tristesse que Christian retourne vers son camping-car. Les dernières amarres qui faisaient de lui un Parisien ont été jetées à la mer. Il ne lui reste plus que son accent. Il se trouve désormais dans le Sud-Ouest, et tout le monde peut entendre que c’est lui l’étranger.
Mais il n’est visiblement pas le seul étranger dans les parages, car l’homme surgi de nulle part qui le saisit brutalement par le col ne s’exprime pas avec l’accent du Sud-Ouest :
– Bouge pas ou je te plante !
Difficile de bouger avec un couteau sous la gorge et un gorille sans visage qui lui immobilise le bras dans le dos, prêt à lui briser le poignet au moindre geste. Christian est pris au piège entre un bosquet touffus et son camping-car, qui le masque à la vue des automobilistes. Malgré la panique, le jeune homme sent la présence d’un deuxième agresseur, dont il ne tarde pas à entendre la voix, une voix ténébreuse et dépourvue d’émotion :
– Il est où, Edmond ?
A suivre…
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