Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 22 / Fin)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Christian s’endort rapidement, malgré le froid, et ce après avoir dîné frugalement, dans la semi-pénombre. Dormir à l’abri, c’est bien, mais sans électricité, cela reste du domaine de la survie. Son réchaud de camping à gaz lui est bien utile, malgré tout.
C’est également le froid, qui le réveille le lendemain matin. En buvant son café, il s’interroge sur ce qu’Edmond lui a encore réservé comme surprise.
Si Edmond n’a pas nié l’existence d’un objet convoité par les agresseurs de la veille, et s’il a soutenu que Christian aurait le fin mot de l’histoire ce matin, c’est que l’objet en question est nécessairement à bord du camping-car. Comment cela est-il possible, vu la fouille en règle subie par le véhicule ?
Christian n’a qu’un seul moyen d’en avoir le cœur net, il doit à son tour inspecter minutieusement l’engin, et y passer le temps qu’il faudra. Edmond lui a en effet donné l’indice ultime : l’objet est là, à portée de main, et c’est à Christian de le trouver, de le trouver et d’en faire bon usage.
Alors une fois son petit déjeuner avalé, Christian se lance avec détermination dans le jeu de piste. Après tout, Rennes-le-Château est bien le pays de la chasse au trésor. Le temps, l’espace, tout est cohérent, une fois de plus. Tout est à sa place, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais par où commencer ? Difficile de le savoir lorsqu’on ignore ce que l’on cherche. La meilleure chose à faire, se dit Christian, c’est de prendre du recul.
La meilleure chose à faire est de s’éloigner du camping-car.
Christian décide donc de retourner au pied de la tour Magdala afin d’embrasser à nouveau du regard le panorama incomparable du Razès. Il n’est que 8h22 et le jeune homme a bien le temps de chercher et trouver, puisqu’il a la certitude de trouver.
A 8h33, Christian est de nouveau sur le parking encore désert, à l’exception du camping-car bien sûr. Il décide donc de commencer par examiner l’extérieur du véhicule. Se laissant guider par son intuition, il entreprend de contourner l’engin et très vite, constate l’anomalie.
Une anomalie qui est telle une signature, le premier pas vers la révélation. Car hier soir, avant de partir, Edmond a pris soin de dégonfler l’un des pneus du camping-car. En d’autres circonstances, Christian l’aurait maudit, mais là, il sait que le vieux fou lui a donné la clé de l’énigme. Christian n’a pas de compresseur et à moins de solliciter l’aide des Castelrennais, le jeune homme n’a d’autre choix que de changer la roue.
Et lorsque Christian déverrouille le système d’attache de la roue de secours, logé sous le véhicule, l’objet apparaît.
Il est 8h44.
Se munissant d’un couteau, Christian entreprend de libérer le paquet solidement arrimé par des cordes au creux de la roue, et saucissonné de ruban adhésif. Une fois libéré de cette gangue, le paquet se révèle très lourd.
Christian regagne sans attendre l’intérieur du camping-car pour étudier le contenu du paquet. Celui-ci se compose d’abord d’un épais cocon de papier bulle, contenant lui-même d’une part une grande enveloppe de papier Kraft, d’autre part un lourd objet enroulé dans une pièce de tissu, compactée grâce à du ruban adhésif. Christian peut d’ores-et-déjà en identifier la nature. Vu sa forme et son poids, l’objet ne peut être qu’une arme à feu.
Christian examine le pistolet. Il parvient sans grande difficulté à en extraire le chargeur, garni de quatre cartouches, qu’il retire une à une, avant de déposer le tout sur la table et de se saisir de l’enveloppe. Cette dernière est épaisse et une fois ouverte, Christian en extrait une vingtaine de feuillets. Parmi eux, une lettre manuscrite signée Edmond attire son attention :
Cher Christian,
Si tu lis ces mots, c’est que tu as résolu cette dernière énigme. Les documents dans cette enveloppe sont ceux que j’ai volés, ou plutôt récupérés dans le coffre de qui tu sais. J’ai aussi pris l’arme qui s’y trouvait. Garde-la, on ne sait jamais. Ces documents sont dangereux, bien plus dangereux que le flingue qui les accompagne. Tu y trouveras des noms d’élus, de ministres, de députés européens, de hauts fonctionnaires et de personnes célèbres, tous impliqués dans toutes sortes d’affaires, du simple délit financier à des abominations beaucoup plus graves. Tu trouveras aussi des adresses de serveurs informatiques, des identifiants, des clés de décryptage qui te permettront de te procurer de nombreux autres documents du même acabit. Je suis trop nul en informatique pour savoir quoi faire de tout ça, et c’est pourquoi je devais te confier cette mission. Sans exagérer, il y a là de quoi faire tomber la cinquième république et l’Union Européenne. Pas moins. Des gens paieront cher pour remettre la main sur ces documents, alors sois prudent. La vérité, c’est que ce n’est pas moi qui suis venu à ton aide mais toi qui est venu à mon aide. Je ne t’en serai jamais assez reconnaissant. Tu vas dans les Hautes-Pyrénées alors sache que la saison des pèlerinages à Lourdes va bientôt reprendre. C’est la deuxième ville hôtelière de France et les commerces recrutent à tour de bras. Donc si tu as besoin d’un job, tente ta chance. C’est loin d’être marrant mais ça permet de s’en sortir, j’ai pas mal bossé là-bas quand j’étais plus jeune.
Voilà, que dire d’autre ? Tu peux très bien choisir de brûler ces papiers, et je peux le comprendre. Mais si tu es un authentique chercheur de vérité, si tu es un authentique chasseur de lapin blanc, tu ne le feras pas, et tu te battras jusqu’au bout pour que tout soit dit, pour que les crimes soient dénoncés et la justice rétablie. D’ailleurs, sois sûr que le lapin blanc ne te laissera pas dormir sur tes deux oreilles et qu’il saura se manifester quand tu t’y attendras le moins.
Alors bon courage, bonne route, et prends bien soin de toi.
Et surtout, n’arrête jamais de suivre le lapin blanc…
Edmond
Christian passe dès lors une bonne partie de sa journée à étudier les documents à sa disposition. Hélas, limité par l’absence de connexion Internet et d’imprimante, il ne peut vérifier plus avant les assertions d’Edmond, ce fichu démon.
Alors il lui vient une idée. Peut-être pas la meilleure, mais celle qui s’impose ici et maintenant. Mettre la bombe dans des mains d’enfants. Faire éclater la vérité sans attendre, sans tenir compte une seule seconde des conséquences. Détruire le monde d’un seul coup, avec ses vraies et fausses conspirations, atomiser le réel, c’est-à-dire le mensonge, et appeler le Christ de toutes ses forces, inviter la Jérusalem Céleste et implorer l’instauration du royaume de Dieu.
Appeler son copain Thierry :
– Salut !
– Tiens ! L’aventurier ! Alors ça y est, tu t’ennuies loin de Paname ?
– Pas du tout. Je viens de passer les cinq plus fantastiques jours de ma vie. Et je peux t’assurer que je ne suis pas près de revenir à Paris.
– Comme tu veux ! Mais dis donc, pourquoi tu nous lâches ? Pourquoi tu lâches le site ?
– C’est vous qui m’avez lâché. Vous m’avez sucré plusieurs articles.
– Ouais, désolé, mais on peut en discuter, tu sais. C’est juste qu’on réfléchit à la ligne éditoriale…
– … et mes articles ne sont pas assez paranos, pas assez antiaméricains, pas assez antisionistes, c’est ça ?
– Ne le prends pas comme ça !
– Ecoute Thierry, ça ne fait rien. Ma décision est prise. Et pour te prouver que ça ne me dérange pas plus que ça et que je n’en veux à personne, je vais te permettre d’accéder à des infos de première main. C’est dans une dropbox, des fichiers cryptés, apparemment. Je vais te filer les identifiants et tous les codes. A toi d’aller vérifier, et d’exploiter les infos comme ça te chante. Moi, je passe à autre chose.
– OK, mais c’est quoi ces infos ? T’as pas de quoi me mettre en appétit ?
– Si, j’ai quelques trucs sous les yeux. Tiens, par exemple, tu veux savoir comment l’Elysée a monté certains médias arabes contre Charlie Hebdo ?
– Ben merde alors, ça c’est du lourd. Mais qui t’a donné ça ?
– Le lapin blanc, Thierry. Le lapin blanc…
Epilogue :
A 22h22, Christian est de nouveau seul dans la nuit. Sur sa gauche, le pic de Bugarach. Sur sa droite, la tour Magdala. Derrière lui, Rennes-le-Château, devant lui, les ténèbres. Son camping-car n’a pas bougé, et grâce au libraire, des habitants du village ont pu l’aider à regonfler sa roue. Il n’a toujours pas d’électricité, toujours pas d’Internet, son visage est fouetté par le vent et il se sent plus que jamais libre et heureux. Il pourrait parfaitement envisager de reprendre sa route dès le lendemain, ou même dès ce soir. Tarbes doit être à trois ou quatre heures de route.
Il se demande pourtant s’il ne va pas séjourner quelques jours de plus dans le Razès.
Fin
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