Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 20)
Par Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr
Dissimulant autant que possible sa surprise, Christian règle rapidement ses achats et quitte la petite librairie de Rennes-le-Château. Son sang n’en est pas moins en train de bouillir dans ses veines, et c’est avec grand peine qu’il parvient à contenir sa colère :
– Edmond ! espèce de crapule ! je ne sais pas ce que tu as fait mais j’ai failli me faire zigouiller à cause de toi. Alors j’espère que tu as une bonne raison pour te pointer une nouvelle fois sous mon nez et que tu vas m’expliquer à quoi tu joues.
Délaissant ses fanfaronnades habituelles, Edmond n’en mène pas large :
– Calme-toi, mon garçon, calme-toi ! marchons un peu. Je n’ai pas été franc et tu as raison de m’en vouloir. Je vais tout t’expliquer. Ensuite, je disparaîtrai et te laisserai poursuivre ton chemin.
Machinalement, les deux hommes remontent vers l’église et le domaine de l’abbé Saunière, comme si ces lieux allaient apporter à nouveau la paix entre eux. Mais ce n’est pas gagné :
– Je n’ose même pas te demander comment tu as su que j’étais ici. Encore un de tes dons de voyance ?
– Non, Christian, pas cette fois. Un camping-car est lent et se voit de loin, il est donc très facile à suivre.
– Donc, tu étais derrière moi tout ce temps-là ? Mais qu’est-ce que tu manigances, à la fin ?
– Oui, j’étais même là lorsque ces deux crétins t’ont agressé. Et tu ne courais aucun danger, en réalité, je serais intervenu. Ne t’inquiète plus à leur sujet, ils ne te causeront plus d’ennuis.
– Ah oui ? Tu les as éliminés peut-être ? Comme ta victime à Chartres ?
Tout en incitant Christian à parler plus bas, Edmond prend soudain un ton plus autoritaire :
– Vas-tu me laisser parler, à la fin ? je ne suis pas un enfant de chœur, et je n’ai jamais prétendu en être un. J’ai fait de mauvais choix dans ma vie, c’est un fait, et je n’y peux rien. Tout ce que je peux faire, c’est tenter de réparer les pots cassés. Et au point où j’en suis, je ne peux le faire qu’en ayant du sang sur les mains.
Christian s’immobilise, abasourdi. Alors les accusations étaient vraies. Edmond poursuit :
– Les cadavres des deux types qui t’ont agressé sont en train de pourrir dans un sous-bois, dans le Lauragais. Et le type que j’ai buté à Chartres était une ordure dont tu ne peux pas imaginer la méchanceté et la perversion. Il ne s’agit pas de conspiration, Christian, il s’agit d’une guerre secrète, une guerre entre sociétés secrètes. Il y a eu les disciples de Baal, ceux de Kali, les Assassins chiites, les Templiers. Aujourd’hui il y a les Illuminati, les Francs-maçons, les Rose-Croix. Leurs larbins s’appellent Al Qaïda, Daech, le complexe militaro-industriel, la CIA. C’est sans fin, tu comprends ? C’est devenu incontrôlable. Plus personne ne maîtrise la boîte de Pandore ouverte il y a des siècles par une élite avide de connaissance. Tout le monde cherche désespérément à se raccrocher à quelque chose. Les complotistes se raccrochent au complot, les politiciens et les présentateurs de JT se raccrochent au système pourri qui les maintient en vie, les milliardaires se raccrochent à leurs milliards, les barbus fanatiques se raccrochent à leur prophète du désert et leur culture de chameliers, les migrants africains se raccrochent à des bouts de planches. Mais la vérité, c’est que plus personne ne sait ce qu’il fait. Il n’existe plus qu’une poignée d’inconscients suicidaires dans notre genre qui se raccrochent encore à l’espoir fou de découvrir la vérité. Alors, oui, c’est une guerre folle, une guerre lasse, une guerre sans fin, et il y a des morts. Mais ne juge pas si tu ne veux pas être jugé. Des pédophiles qui financent le terrorisme et le trafic d’êtres humains, je n’en égorgerai jamais assez de mes propres mains. Et ces salopards finissent bien souvent députés ou ministres. Le président des Etats-Unis et le directeur de la CIA sont musulmans, comment veux-tu y voir clair ? Il n’existe qu’un seul moyen d’y voir clair : vendre son âme au diable, la seule condition pour contempler la déesse Isis sans son voile, dans toute sa beauté et sa cruauté. Tu comprends ? je me suis sacrifié pour sauver l’humanité, car je suis un disciple du Christ.
Christian dévisage longuement son interlocuteur. Désormais habitué à ce regard fou, ces yeux luisant d’une aura maléfique, il ne se laisse plus impressionner :
– Tout ce que je vois, moi, c’est la vérité d’un pauvre type, un pauvre clochard seul, perdu, et alcoolique. Tu as cherché la vérité et comme beaucoup, tu t’es égaré. En te regardant là, aujourd’hui, je vois ce que je risque de devenir. Je comprends que personne ne capture le lapin blanc, personne ne le domestique, personne ne court plus vite que le temps. Il a fallu que je vienne à Rennes-le-Château pour le comprendre.
Bouleversé, Edmond se met subitement à fondre en larmes :
– Moi aussi en te voyant la première fois, je me suis revu, vingt ou trente ans plus tôt. J’ai été envoyé vers toi pour te passer le relai, Christian, et surtout pour faire en sorte que tu ne commettes pas les mêmes erreurs que moi.
En silence, Edmond continue de pleurer à chaudes larmes. Christian, entre colère et tristesse, ne sait plus quoi dire.
Tous deux se trouvent désormais aux pieds de la tour Magdala, contemplant, les yeux embués de larmes, les étendues sauvages et mystérieuses du Razès.
A suivre…
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